L’homme est-il un animal ?
J’ai remarqué que poser l’homme comme étant un animal parmi les autres dérangeait souvent quand cela ne venait pas choquer, voire provoquer des réactions violentes de refus chez certains. Et pourtant, cela ne serait-ce pas plein de sens ?
Pourquoi refuser que nous puissions faire partie des espèces animales alors qu’il est reconnu que nous faisons parti des hominidés comme les grands singes (les bonobos, les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outans) ? Allant dans ce sens, le dossier spécial de la revue américaine Science du 2 octobre 2009 relate la découverte de « Ardi » par une équipe scientifique internationale. Ardi est le squelette d’une hominidé qui vivait en Éthiopie il y a 4,4 millions d’années (soit beaucoup plus vielle que Lucy, 3,2 millions d’années) et qui marchait déjà sur ses deux pieds. Si notre plus vieil ancêtre commun marchait déjà sur ses deux pieds, ce n’est donc pas la posture debout qui a différencié l’Homme des Grands singes comme on le croyait depuis longtemps, La différenciation se serait donc passée à un autre niveau. A ce sujet, je vous invite à lire le dossier spécial « Le singe descend de l’homme ! » du n°35 de Philosophie Magazine. Devant cette nouvelle découverte, peut-on réellement toujours nier notre origine animale ?
D'autres éléments devraient nous interroger et nous interpeller sur notre non-animalité. Si l’humain n’était pas un animal comme les autres, nous ne pourrions sûrement pas nous servir des autres animaux comme cobayes pour nos recherches scientifiques et médicales. Retrouverions-nous certains comportements de groupe communs à d'autres espèces, comme les stratégies guerrières des fourmis ont pu entre autres le montrer ? Il y a aussi tous ces liens et ces relations possibles entre les humains et les autres animaux comme le champ de la médiation animale le montre de plus en plus.
Mais pourquoi donc vouloir tant se différencier des autres animaux ? Pourquoi se vouloir ainsi si supérieur ? L’est-on d’ailleurs tant que ça !
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un animal ? Le Grand Robert nous donne deux acceptations principales : La première : « Être vivant formé d'une ou de plusieurs cellules possédant des caractères constants, et qui, outre les caractères généraux de tout être vivant (croissance, métabolisme, reproduction), possède des caractéristiques spécifiques, surtout sous ses formes pluricellulaires : sensibilité, motilité, hétérotrophie. » Et la deuxième : « Être animé, considéré comme dénué de raison, ne possédant pas les caractéristiques de l'espèce humaine (langage articulé, fabrication des outils, fonction symbolique, etc.). » N’est-il pas intéressant de voire qu’alors que la première acceptation nous définit comme étant des animaux, la deuxième tend à nous différencier d’eux par certaines spécificités qui seraient typiquement humaines. Mais est-ce réellement le cas ?
- Pour certains, notre différence tient au fait que nous pensons. Mais sommes-nous les seules à penser ? Les animaux rêves. N'yaurait-il pas derrière une forme de pensée ? Comme nous le dit Boris Cyrulnik lors de son entretien avec Karine Lou Matingon intitulé Sans les animaux, le monde ne serait pas humain, « Le jour où l'on comprendra qu'une pensée sans langage existe chez les animaux, nous mourrons de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos rires. »
- Il y a aussi le fait que nous transformons notre environnement. C’est exact, mais nous ne sommes pas les seuls à le faire. Les fourmis, les castors le font aussi. Certes, ils ne créent pas d’objet et ne bâtissent pas à partir de ces derniers (du moins à ma connaissance). Mais il y a des animaux qui utilisent des objets à des fins utiles, les détournant de leur rôle initial, les chimpanzés et les corneilles notamment. Bon, certes, c’est du basique et sur ce point, nous sommes bien plus évolués techniquement… maintenant (mais pas à l’origine)
- Pour d’autres, la parole nous différencierait. Cela est contredit par les scientifiques qui ont identifié des modes de communication, proche d'un langage, chez des espèces animales : dauphins, oiseaux, chiens, etc. Maintenant, il semble que ce soit un fait établi que la parole articulée est une spécificité humaine qui favorise les échanges, la projection et l’interprétation, donc l’invention. Ce qui complexifie le relationnel entre individus. Il me semble qu’il existe là, pour le moment, une réelle différence avec les autres espèces. Mais pour autant, cela nous positionne-t-il comme n’étant pas une espèce animale au même titre que les autres animaux ? Je dis pour le moment, car comment être sûr qu’il n’existe pas des modes de communications que nous n’arriverions pas encore à appréhender, et qui pourraient éventuellement être proches de la parole.
- La conscience de la mort serait aussi une spécificité qui nous différencierait des « animaux ». Or, il se trouve que des éthologues ont découvert qu’elle existait chez certaines espèces (certains primates et les éléphants entre autre).
- Pendant longtemps, la projection dans le futur a aussi été considérée comme spécifiquement humaine. Cette capacité a été découverte chez les geais buissoniers par le Professeur Clayton de l’Université de Cambridge.
Le livre, Les surdoués du monde animal, d’Yves Christen, donne une vision d’ensemble intéressante de capacités dont certains animaux peuvent faire preuve, dont certaines que l’on croyait spécifiquement humaine et qui font encore débat.
- Maintenant, il y a la spiritualité qui est, a priori, spécifiquement humaine, mais, comme nous le dit Dominique Lestel dans L’animal est l’avenir de l’homme « Que savons-nous vraiment, tout d'abord, des spiritualités animales ? L'esprit fort se gaussera de la question. Il aura tort. Personne n'en a montré ni l'existence ni l'absence. ».
- Dieux nous aurait créés à son image. Peut-être, s’il existe un Dieu. Maintenant, s’il n’en existe pas, il n’est pas non plus exclu que nous ayons créé les Dieux à notre image, c’est-à-dire pouvant être aimant, jouisseur, joyeux, tristes, vengeur, violent, jaloux, etc. Il n’y a qu’à regarder les caractéristiques des Dieux de l’antiquité… des caractéristiques que l’ont retrouve généralement regroupé dans les Dieux uniques. Mais là, je prends le risque de m’égarer.
- Il y a aussi la détermination de nos vies. Les animaux seraient déterminés par leurs instincts, mais aussi par le fonctionnement et les règles de leur espèce, à l’inverse des hommes. Certes, jusqu’à preuve du contraire, il semblerait que la vie des autres animaux soit ainsi déterminée. Mais celle de beaucoup d’humain ne l’est-elle pas aussi ? La majorité d'entre nous est déterminée par le social et le culturel, nous en déplaise. Les humains vivent principalement en fonction des règles et des cultures dans lesquels ils baignent et souvent desquels ils sont prisonniers. De par le monde, dans combien de contrées et de régions les individus sont liés aux règles et coutumes de la société dans laquelle ils vivent sans pouvoir s’en émanciper, conditionnés qu’ils sont par ces dernières ? Certes, il existe un grand nombre d’individus qui font des choix personnels pour leur vie, leur lieu de vie, leurs unions, s’affranchissant des attentes de leur environnement socioculturel, c'est une certitude. Mais est-ce la majorité des humains ? Je n’en ai pas l’impression, tout au contraire même. Alors, cela peut-il être une particularité qui nous différencierait des animaux ? Cela me semble difficile à affirmer. Par contre, dans l'absolue, nous les humains, nous pouvons avoir le choix. Mais peut-on affirmer que le choix n'existe dans aucune autre espèce, ne serait-ce que pour quelques éléments ? Cela me semblerait bien prétentieux, mais je peux là encore me tromper.
- Et qu’en est-il de la raison, des valeurs et de l’éthique ? Lorsque l’on regarde l’histoire de l’Humanité, on peut s'interroger sue celles des humains. Illusions, vœux pieux ou en a-t-on vraiment tant que ça ? On peut d'ailleurs se demander si nous sommes plus sages que les autres espèces, que les autres animaux. Que penser, ainsi, de ces paroles de Dominque Lestel : « L'homme peut s'enorgueillir de posséder une raison. Mais la raison de celui qui détruit son monde et celui des autres reste largement problématique. » Cela interroge nos constructions qui détruisent l’habitat d’autres espèces, mais aussi le fait que nous sommes l’une des rares espèces qui s’entre-tuent et l’unique, semble-t-il, qui le fasse parfois pour le plaisir.
Pourquoi donc parler de tout cela ? Pourquoi poser ainsi notre animalité ? Tout simplement parce que je me demande depuis un certain temps à quel point notre sentiment d’« inanimalité » ne nous pousserait pas à notre destruction. À quel point ce dernier ne nous empêcherait-il pas de vraiment nous connaître, de grandir et de progresser avec les autres, tous les autres. C’est-à-dire ceux de notre espèce, les autres humains, mais aussi ceux des autres espèces.
Que pouvons-nous donc apprendre des autres animaux ? Que peuvent-ils donc nous apprendre sur nous-mêmes ? Comment peuvent-ils donc nous aider à progresser ? Je me demande s'il ne pourraient pas nous apprendre à être plus tolérant entre nous. Si nous arrivons à les accepter comme des êtres à part entière, avec leurs spécificités, leurs cultures, leurs règles de vie et communicationnelle nous pourrions peut-être apprendre à mieux respecter les différences existantes entre les humains, entre nos cultures.
Depuis longtemps j’observe les animaux que je peux côtoyer, leurs réactions, leurs comportements et je m'interroge régulièrement sur ce que cela peut m'apporter pour moi-même mais aussi dans ma compréhension de nos comportements. J'ai ainsi régulièrement appris et cette sensation d’être un animal parmi les autres m'a toujours habité. Je pense d'ailleurs que c’est une des choses qui m’a permis de conserver une certaine humilité et de toujours être intéressé par les autres, d’essayer, la majeure partie du temps, de respecter ce qu’ils étaient (et non pas ce que je voulais qu’ils soient). C’est comme si de se sentir proche des autres animaux donnait encore plus d’humanité.
Je vis près d’un lac autour duquel je me promène régulièrement. Sur celui-ci cohabitent des canards, des oies, des signes, des hérons et une espèce que je n’ai pas identifiée. Je trouve extrêmement intéressant de les observer. Voir comment les canards mâles protègent leur femelle des autres canards, sortant le bec et cancanant à tout va pour éloigner les opportuns. Quand je les regarde, j’ai parfois l’impression de voir des couples d’humain. Il y a des situations que je ne comprends pas, comme de voir un cygne chasser les oies d’un certain endroit. Est-ce qu’il le considère comme son territoire, joue-t-il avec elles où y aurait-il sa femelle pas loin en train de couver ? Dans un autre domaine, l’autre jour je me suis retrouvé devant un chat surveillant un carrefour. C’était comme s'il avait la garde de ce carrefour. Vraiment étrange. Ca l’a été d’autant plus lorsqu’il s’est mis à chasser un chien passant par là avec sa maîtresse. Au lieu de s’en éloigner, comme le font généralement les chats, il s’est approché de lui tous poils dressés et montrant les dents. Autant vous dire que le toutou, bien qu’il soit plus gros que lui, n’a pas essayé d’insister, suivant sa maîtresse. Que peut-on donc apprendre de ces scènes ? Que pourraient apprendre des enfants, des adolescents mais aussi des adultes de ces situations. Qu'est-ce que cela peut révéler aussi sur nous-mêmes ? Que peut-on apprendre, pour nous, de chiens et de chats qui cohabitent ?
Avez-vous remarquer comment certains autres animaux savent profiter de la vie ? Regardez les félins notamment. Il n'y a pas longtemps, j'étais à la terrasse d'une brasserie, lisant au soleil. Au moment de partir, je suis entré dedans et j'ai vu leur chat, allongé au milieu d'une table, se prélassant tranquillement sous les rayons du soleil. Je n'ai pu m'empêcher de me dire « Ah lui, il sait vivre ! » N'y aurait-il pas là aussi à apprendre. Ce que je veux dire par là, c'est que au contact des animaux, très souvent nous allons faire quelque chose avec eux, nous sommes généralement les moteurs de l'échange (que ce soit dans l'action ou la réaction). Il me semble que nous avons à apprendre pour nous et de nous à rester passif, à être seulement acteur de leur désir, à les laisser être le moteur de l'échange et du partage. Ils viennent près de nous pour un simple contact et ne rien faire ? Soit, goutons et accueillons ce « ne pas faire » avec eux. De même, ils veulent jouer ? Et bien acceptons leur jeu et d'« être le jouet de ce dernier ». Que d'apprentissages possibles en perspective ! Notamment sur le lâcher prise et l'absence de contrôle.
Ne serait-il pas intéressant d’inclure dans les programmes éducatifs des jeunes des programmes d’apprentissage de et par « la nature », c’est-à-dire de et par les autres espèces animales, mais aussi végétales ?
Nous sommes des animaux, ne nous y trompons pas. Mais des Animaux-Hommes, terme que je me plais à reprendre régulièrement. Des Animaux-Hommes qui sont « techniquement » bien plus développés et plus évolués que les autres animaux. C’est une certitude. Mais des animaux qui n’en sont pas pour autant plus sages. Il me semble même que ce soit tout le contraire. Et, justement, ne serait-ce pas là que nous aurions à apprendre des autres animaux ? Ne serait-il pas intéressant de regarder ce qu’ils pourraient nous apprendre ? Notamment dans le fait de savoir se contenter de ce que l’on a besoin et non pas de vouloir toujours plus, et encore plus !
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