Les trois Mondes de la cosmologie des chamanismes : source de certaines de nos croyances ?
ans Le Chamane et le Psy, Laurent Huguelit présente les trois mondes de la cosmologie chamanique. Il nous explique que les différents spécialistes de la question ont identifié trois mondes qui revenaient dans les différents chamanismes existants : le Monde d’en bas, le Monde du milieu et le Monde d’en haut. Exsite-t-il une relation avec certaines de nos représentations religieuses ?
Avant d’aller plus loin, laisser moi reprendre ce qu’il nous dit des trois Mondes dans le Dialogue X du livre.
- « Le Monde d’en bas, c’est le monde lié aux énergies de la Terre. Plus spécifiquement, ces énergies telluriques sont reliées à ce que l'on appelle les “esprits animaux”, les esprits qui guident le chamane dans son voyage chamanique. On les appelle aussi “animaux de pouvoir” ou “animaux de force” ». Ce serait le monde où l’instinct prime, « l’instinct qui est le principal outil du chamane ». Le monde d’en bas serait un monde typiquement chamanique selon Huguelit.
- « Le Monde du milieu, c'est celui dans lequel nous vivons en ce moment même, en y ajoutant sa face invisible à l'œil nu. C’est-à-dire que tout ce qui nous entoure est fait d'énergie et communique avec nous sous la forme d'esprit : toutes les plantes, les arbres, les objets, les personnes qui nous entourent sont des esprits. » Ces esprits seraient la face spirituelle de notre monde “matériel”. « Les esprits qui habitent le monde du milieu sont liés à la vie, à la mort, à la personnalité et à l'ego. »
- « Le Monde d’en haut, c’est celui des énergies purement spirituelles. Nous en avons une perception restreinte. (…) Dans ce monde, tout est très spirituel, tout est très zen et tout est très beau. »
Il n’y aurait pas de mondes bon ou mauvais, il n’y aurait que des mondes plus ou moins difficiles d’accès et plus ou moins complexe.
Les Mondes d’en haut et d’en bas seraient indépendants des objectifs égocentriques humains. Les esprits de ces mondes seraient là pour nous aider, sans contrepartie.
« Le Monde du milieu serait un monde d’interactions énergétiques denses dans lequel des forces et des équilibres sont en jeu. » « Les esprits qui l’habitent ont des désirs, des buts qui leur sont propres… Ils ne sont pas simplement là pour nous aider. » (Les esprits des plantes n’agiraient notamment pas pour rien. Une origine complémentaire du biologique de certaines dépendances ?)
Lorsque j’ai lu tout cela et le reste de ce dialogue, je n’ai pu m’empêcher de penser à nos religions et aux trois mondes qu’ils nous proposent : le Monde des vivants (notre monde se trouvant au milieu entre les deux autres), le paradis (le ciel, en haut) et l’enfer (généralement situé dans les entrailles de la terre, en bas). Trois dénominations et trois sens que l’on retrouve sous différentes dénominations et formes en fonction des cultes et des cultures. Là où ça m’a interrogé, c’est que les pratiques chamaniques sont bien plus anciennes que toutes nos religions. On en trouve des traces tout au long de l’histoire de l’humanité. En occident, on les a en grande partie fait disparaître lors de la grande chasse aux sorcières orchestrée par les religieux et les gens de savoir, ceux dit “savants”. Les savoirs populaires de ces “chamanes” de l’époque n’étaient pas acceptables. Question de pouvoir, tout simplement.
Alors, si ces pratiques étaient plus anciennes, leur cosmologie n’était-elle pas précurseur à la nôtre ?
Une autre interrogation qui m’est venue est le rapport entre leur Monde d’en bas (celui des esprits animaux, de l’instinct) et l’enfer des grands cultes. N’y aurait-il pas là un lien direct qui en dirait long sur nous-mêmes ? Qui en dirait long sur la suffisance et la prétention dans laquelle l’espèce humaine serait tombée ?
Dans notre société actuelle et les cultures dominantes, ce qui est animal, sauvage, instinctif est encore considéré comme vil, comme bas. Les comportements instinctifs sont toujours à combattre (et pas toujours à tors... mais pas non plus toujours de manière juste…). L’animalité est ce dont nous devons nous éloigner (sorte de dénie de notre condition première d’ailleurs). Il n’y a qu’à regarder notre vocabulaire qui l’associe souvent à ce qui est mal. Et notre littérature et nos fictions ne s’inspirent-elles pas souvent de ce qui est animal pour représenter ce qui est mauvais ! Les démons, de leurs côtés, ont beaucoup plus souvent forme animal que visage humain, n’avez-vous pas remarqué ? Et quand on leur donne forme humaine, l’animal n’est parfois pas loin, regarder les vampires et les chauves-souris (pour une partie de la littérature les concernant) !
Se pourrait-il que ce rejet soit à l’origine de l’idée d’enfer et de son positionnement en bas ? L’enfer ne serait-il pas qu’une “démonisation” d’un état naturel dont on cherche à s’éloigner, qui nous ferait peur ? De cette part de nous-mêmes sur laquelle nous n’avons que peu de contrôle ?
Ce que l’on nomme comme enfer ne serait-ce pas tout simplement le Monde d’en bas de la cosmologie des chamanismes, celui des énergies de la terre, des instincts, des esprits animaux ? Ces états que nous fuyons et rejetons.
Et le ciel, le paradis ne serait-ce pas tout simplement le Monde d’en haut, celui des énergies spirituelles ? Ces élévations que nous recherchons au travers de la spiritualité, d’une “soi-disant” sagesse.
N’y a-t-il pas là de quoi chambouler bien des représentations et des conceptions ? Vous ne trouvez pas !
Un grand nombre de nos églises en occident ont été construites en lieu et place d’anciens temples. Elles sont ainsi souvent situées sur des zones de fortes concentrations d’énergies telluriques, ces dernières ayant de tout temps été des lieux sacrés. Quel paradoxe, ne trouvez-vous pas, que beaucoup de nos églises, basiliques et cathédrales soient ainsi en lien direct avec le monde d’en bas que l’Eglise a rejeté en enfer. Bon, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de lien avec le monde d’en haut. Mais tout de même ! (Je ne serais pas surpris que ce soit la même chose d’une partie des lieux de culte des autres religions du Livre.)
En relisant certains passages du livre pour rédiger cet article, je suis tombé sur ces propos de Laurent Huguelit que j’avais oublié. « Nous vivons dans un contexte culturel et religieux dans lequel il est très facile de s’élever, mais où il est plus difficile de descendre. Tout simplement parce que le Monde d’en bas est perçu comme contre évolutif : dans notre optique fragmentée et manichéenne, il faut monter, toujours monter, gravir les échelons, s’élever spirituellement, alors qu’en bas, c’est l’enfer, c’est le samsara[1] des traditions védiques et bouddhiques, c’est l’animal qui vit en nous. C’est conventionnellement ce qu’il faut chercher à éviter, pour résumer.
Tout cela nous ramène à nos propres peurs, à nos difficultés à nous accepter en tant qu’habitants d’une planète et d’un monde en trois dimensions, ainsi qu’à notre croyance en la suprématie de l’homme sur ce qui l’entoure. »
N’est-ce pas intéressant et plutôt pertinent ? Cela ne donne-t-il pas non plus matière à réflexion et interrogations personnelles ?
Si cette perception est juste, à quel point, au fur et à mesure des siècles, ne nous sommes-nous pas déliés d’une part de nous-mêmes, de l’environnement qui nous entoure, des autres espèces et des Mondes dont nous faisons parti ? Les maux de la terre et des hommes actuels (maladies modernes, catastrophes naturelles, famines, etc.) n’en seraient-ils pas une conséquence ?
La problématique environnementale, le rapport corps esprit, maintenant mis en avant avec d’autres questions, sont des priorités que l’on trouve ou retrouve (je ne sais pas trop…), mais toujours en magnifiant l’élévation. Ne serait-ce donc pas là, une erreur ? De manière générale, dans nos sociétés, le monde d’en haut n’est-il pas toujours préféré au monde d’en bas tout comme la tête n’est-elle pas toujours plus valorisé que le corps ?
Peut-il y avoir amélioration de nos conditions de vie et de bien-être
tant que nous alimenterons le déséquilibre entre le bas et le haut ?
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[1] Cycle des renaissances provoqué par le karma de certaines traditions orientales.