Coconstruire son savoir plutôt qu'apprendre, en recevant ?

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Avant-hier, j’ai surveillé 2 partiels de 2e année de DUT GEA (Gestion des Entreprises et des Administrations). Le matin, c’était un partiel de contrôle de gestion. Lors de cette surveillance, le dispositif classique de partiel que je surveillais m’a soudainement interrogé. En me rendant à l'IUT, dans les transports, j'ai remarqué une étudiante plutôt stressée tandis qu’elle lisait son cours une dernière fois. Cela et ce que j’ai ressenti lors du partiel m’ont ramené 25 ans en arrière, lors de mes propres expériences d’étudiant. C’est-à-dire la tension générale que je pouvais vivre et percevoir : stress chez certains, inquiétude chez d’autres, confiance légèrement prétentieuse chez quelques-uns.

Une intérrogation m'est alors venue : pourquoi les partiels ne se feraient-ils pas par des travaux de groupes plutôt que des épreuves individuelles ? Qu’est-ce que ce serait et qu’est-ce que cela pourrait apporter aux étudiants principalement, mais aussi aux enseignants ? En m’interrogeant ainsi, j’avais dans l’idée que cela pourrait réduire le stress des étudiants.

L’après-midi, c’était une épreuve de vente. Et là, quelle n’a pas été ma surprise de voir que ce partiel était un travail de groupe. Au lieu d’avoir une quarantaine d’étudiants qui planchaient sur leur sujet chacun dans leur coin, j’avais 12 groupes de 3 à 4 étudiants. La première chose que j’ai constaté, fut de ne ressentir que très peu de stress et quasiment pas de tensions. L’atmosphère était même plutôt bon enfant et studieuse. La deuxième fut de réaliser que l’enseignante, au lieu d’avoir 40 copies à corriger, n’en aurait que 12. Gain de temps et de concentration pour la correction j’imagine.

Ce constat qui suivait ma réflexion du matin m’a amené à une nouvelle interrogation. Le dispositif classique de cours, tel qu’il existe en France, c’est un cours magistral suivi de TD/TP dans lesquels les étudiants sont censés travailler ce qu’ils auront vu avant en cours. Mais cela ne pourrait-il pas être autrement ? Fonctionner à l’inverse ne serait-il pas plus intéressant ?

C'est-à-dire commencer par des TD dans lesquels les étudiants coconstruiraient leur savoir dans un travail de groupes organisé et planifié par l’enseignant. Construction du savoir qui serait ensuite reprise et commentée/corrigée par l’enseignant lors d'un cours magistral. Ce qui serait, du coup, plus facilement interactif et surtout attractif. Fonctionner ainsi pourrait alors favoriser l'intérêt et l’acquisition du savoir par les étudiants. Je ne parle pas ici d’organiser le cours, mais d’aller à la rencontre du savoir et de le découvrir (à partir du plan et de l'organisation du cours), avant que l'enseignement correspondant soit donné. Cela reviendrait alors à faire des étudiants "les coauteurs de leur savoir".

Dans ce cas précis, les étudiants seront majoritairement actifs dans la construction et l’acquisition de leur savoir alors que dans le système classique, ils sont généralement passifs. Ils iraient chercher la connaissance au lieu de la recevoir sans avoir d’efforts particulier à faire, si ce n’est de bien noter et ensuite bien apprendre. Le système classique, tel qu’il existe actuellement, rejoint encore trop souvent le concept « bancaire de l’éducation » de Paulo Freire. C’est-à-dire cette idée que toute connaissance acquise un jour resterait en nous et pourrait être réutilisée plus tard, quel que soit le moment, comme on sortirait de l’argent conservé en banque. Idée plutôt absurde en soi… Toute connaissance non cultivée et non travaillée n’a-t-elle pas tendance à s’enfouir profondément dans notre mémoire ? Et n’est-elle pas difficile à raviver lorsqu’elle ne dispose pas d’un ancrage émotionnel suffisamment fort ?

Permettre ainsi aux étudiants de coconstruire leur savoir à partir des directives et de l’organisation planifiée de l’enseignant aurait plusieurs avantages :

  • Cela rendrait l’enseignement plus intéressant et plus ludique pour les étudiants mais aussi pour l’enseignant.
  • Cela permettrait la mise en place d’une dynamique de groupe constructive entre les étudiants.
  • Cela pourrait réduire certaines rivalités destructives, et parfois rabaissantes pour les moins bons, qui peuvent exister.
  • Cela permettrait aux étudiants d’apprendre les uns des autres.
  • Cela favoriserait l’arrivée d’émotions qui favoriseraient, à leur tour, l’ancrage de certaines des connaissances coconstruites.
  • Avec un dispositif suffisamment sécurisant pour les étudiants, cela pourrait développer/renforcer la confiance et l’estime de soi.
  • Avec un tel dispositif, il serait beaucoup plus intéressant d'avoir des travaux de groupes pour partiel. Cela serait plus stimulant pour les étudiants, mais aussi moins stressant et moins anxiogène, donc meilleur pour leur santé.
  • Par l’autorégulation qui pourrait se faire au sein des groupes, cela devrait permettre de réduire le nombre de laisser pour compte.

Certains pourront me dire, mais comment être sûr qu’ils travailleront ? Comment être sûr qu’il n’y en aura pas qui ne feront rien, laissant (voire parfois forçant) les autres travailler à leur place ? Ce n’est en soi pas faux. C'est pour cela que cela impose de bien penser le dispositif, tout comme d'expliquer et de donner l’exemple. Il est vrai que ce mode de travail responsable ne fait pas partie de la culture française, des étudiants aux enseignants.

Un professeur d’anthropologie de l’EHESS, directeur (à l’époque) d’un laboratoire de cette vénérable institution, m’a raconté un jour une de ses expériences d’enseignement dans une grande Université états-unienne (je crois que c’était Berkeley, mais je n’en suis pas sûr). On lui avait demandé d’animer un cours et de se conformer à la pédagogie locale. C’est-à-dire que chaque semaine, l’enseignant donnait à la vingtaine d’étudiants de son cours un texte à lire pour le cours suivant, en leur précisant qu’ils devaient lire tous les jours de 3 à 5 pages du texte en question. De plus, deux d’entre eux avaient pour charge de le préparer pour animer la discussion prévue lors du cours. Comme cela lui avait été demandé, il donna donc son premier texte. Une semaine après, le jour de son premier cours arriva. Sur les 21 personnes présentes, il n'y en avait qu'une seule qui n’avait pas lu le texte. Lui, le prof français.

Il est donc certain qu’il y aurait de mauvaises habitudes à perdre pour inverser la pédagogie que j propose ici. Maintenant, il n’est pas impossible que ce type de dispositif puisse déjà exister dans certains établissements. Ce n’est pas parce que je n’en ai jamais entendu parler que cela ne se fait pas. Mais  si cela existe, ça ne doit pas être très courant.

Alors, amener les étudiants à coconstruire leur savoir et leur connaissance entre eux avec l’enseignant ne serait-il pas pédagogiquement très intéressant et plus efficace en terme d’apprentissage, de reconnaissance et de valorisation ?

 

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J
je vai apprendre
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