Le don : un processus à la fois vertueux et vicieux (3/3)
DONNER À CONDITION QUE L'AUTRE RENDE (PLUS)
Nous sommes ici dans du donnant/donnant où le donateur souhaite surtout ne pas être perdant, pour ne pas dire être de préférence gagnant. L’acte est conditionné à l’anticipation consciente ou non de ce que l’autre, le donataire rendra. Cela se rapproche du troc même si ça n’en est pas étant donné que dans le troc il y a négociation entre les deux parties.
L’intention est d’obtenir un bénéfice en donnant sans tenir compte de l’autre. L’attente est donc souvent forte et peut être cause de réaction négative lorsqu’elle n’est pas assouvie.
DONNER POUR QUE L'AUTRE NE PUISSE RENDRE
Ici, le donateur fera en sorte que son don sera impossible à rendre. La dissymétrie est totale et irréversible. Cette dissymétrie rend l’autre débiteur sur le long terme. Elle le place en dépendance par rapport au donateur. Inviter une personne au SMIC dans un restaurant trois étoiles, c’est l’empêcher de pouvoir vous rendre un jour, il vous devra toujours ce repas. De même donner régulièrement à une personne sans laisser à l’autre le temps de redonner c’est le mette en dépendance en lui donnant trop. C’est là où le « donner pour donner » vu précédemment peut être mal interprété, car là aussi nous pouvons donner sans que l’autre puisse rendre étant donné que nous n’attendons pas de retour. Mais la différence est que jamais nous ne parlerons de retour. Dans le « donner pour que l’autre ne puisse rendre », le donateur mettra régulièrement en avant ce qu’il fait pour l’autre, ce qu’il lui donne, le mettant ainsi dans un état de dette et de dépendance.
L’intention, ici, est d’assujettir l’autre, de prendre le dessus sur lui, de le dominer et d’avoir un pouvoir sur lui. Le retour attendu est dans la dépendance de l’autre, dans le pouvoir que l’on prend sur lui.
PRENDRE POUR PRENDRE
On prend pour prendre lorsque l’on ne respecte pas la règle du « don » en s’appropriant ce qui nous a été donné sans aucune volonté de rendre un jour. Nous sommes ici dans la prédation totale. En entreprise ou dans les relations amicales, celui qui se fait toujours payer le café ou inviter à déjeuner, ou qui fait en sorte que cela se passe toujours ainsi est dans le « prendre pour prendre ».
L’intention est de profiter de l’autre et de l’exploiter. On attend d’être en permanence gagnant sur l’autre par le bénéfice qu’on en tire à son détriment.
PRENDRE CE QUI A ÉTÉ PRIS
Je n’ai jamais vraiment réussi à cerner ce processus. Philippe Chanial parle de « donner des maux, des coups voire la mort au lieu de donner des biens ou des services ». Il me semble percevoir derrière ses propos la violence qui peut être redonnée suite à un don insoutenable reçu. Par exemple, le déni d’une vérité peut provoquer de la violence en retour lorsqu’on veut nous la faire voir, même si c’est par bienveillance. Mais ça pourrait aussi être une réponse à la prédation d'un donateur, l'autre, le donataire décidant d'en faire autant, pouvant aller jusqu'au contredon ultime qu'est la mort par vengeance.
DONNER POUR PRENDRE
Nous avons ici l’idée du « donner pour que l’autre donne ou redonne » mais avec l’objectif de lui prendre. Nous ne sommes pas dans l’idée que l’autre redonne pour que nous lui redonnions à notre tour plus tard. Souvent cela passera par un don de valeur médiocre que l’on ne cessera de valoriser pour que l’autre redonne beaucoup plus, voire toujours plus et ainsi de pouvoir en profiter. Il y a ici tromperie pour amener l’autre à se sentir fortement débiteur et en faire beaucoup plus. Inviter une personne dans un restaurant médiocre et valoriser celui-ci en permanence comme s’il était excellent, dans l’idée d’être par la suite invité dans un très bon restaurant ou que l’autre vous rendra un service d’une valeur supérieure et disproportionnée, entre dans le « donner pour prendre ».
L’intention est manipulatoire. Elle est de profiter de l’autre en s’appropriant de lui. L’attente est d’obtenir beaucoup en donnant moins quand ce n’est pas peu.
L’intention des dons vicieux est tournée vers soi, vers les bénéfices personnels qu’on en tirera sans tenir compte de l’autre. Ce sont des processus psychologiquement et symboliquement violent pour les donataires qui en sont victimes.
Donner est un acte positif comme négatif, il peut être accompli dans la paix comme dans la violence, dans la générosité comme dans la prédation, dans la liberté comme dans la domination. C’est un baume et un poison. Ce n’est sans doute pas pour rien qu’en allemand le mot « gift » signifie à la fois don et poison.
Les processus ici présentés ne sont pas exhaustifs. Après cette lecture, peut-être que d’autres vous viendront à l’esprit. Si c’est le cas, n’hésitez pas à les partager en commentaire afin que tous puissent en profiter et que nous échangions sur le sujet.