La France, pays de défiance !
La sociologie, la psychologie et la psychosociologie ont montré que la confiance était à la source des réussites. C’est une évidence individuelle, mais c’est aussi le cas dans les familles, au sein de groupe, d’organisations, d’entreprises et dans les pays. Malheureusement, en France, la défiance semble primer sur la confiance.
Où que je me tourne, je vois principalement de la défiance. Défiance envers nos institutions et nos administrations, défiance envers nos Politiques, défiance envers l’État, défiance de beaucoup de salariés et des syndicats envers les patrons, défiance de beaucoup de patrons envers les salariés et les syndicats, défiance envers notre éducation, défiance envers nos lois, défiance de parents envers beaucoup d’enseignants, défiance envers nos banques, défiance envers l’Europe, et je dois en oublier. Cette défiance, présente depuis longtemps, est un mal français dont on ne parle pour ainsi dire jamais et qui, pourtant, est peut-être une des sources de bien des difficultés françaises. Le mercredi 15 octobre 2014, pour la première fois j’ai entendu un homme politique en parler. J’avais terminé ce texte depuis 3 jours, le gardant pour une dernière relecture à froid lorsque j’ai lu qu’Emmanuel Macron, Ministre de l’Économie, qualifiait la défiance comme une des « trois maladies qui affecteraient la France », la mettant même en tête de sa liste. Enfin, dans les plus hauts niveaux de la nation c’était dit et affirmé. Mais pourquoi tant de défiances et quel impact sur nos vies et notre économie ?
Comment être dans la confiance lorsque tricher est un réflexe français ?
Je me souviens d’une amie de mon père nous racontant un jour que les Suédois avaient trouvé un système pour empêcher les conducteurs de prendre le volant lorsque leur taux d’alcoolémie était trop élevé. Pour cela, ils couplaient un éthylotest au démarreur. Un de mes amis présents ce jour-là lui répondit tac au tac dans la seconde : « pas de souci, il suffira d’avoir une poire avec soi pour souffler dedans ». Consternation de l’amie de mon père qui lui répondit « ça, c’est les Français, toujours trouver quelque chose pour contourner les lois ».
Cet exemple est symptomatique de la réalité française. Cette amie de mon père ne se trompait pas, contourner les lois est presque un sport national, les pères de la nation, nos élus, n’étant pas les derniers à s’y exercer. Resquiller dans les queues et les transports n’est pas chose rare ; faire des heures de présence sans pour autant toujours travailler pour faire bonne impression est courant ; chercher à payer moins d’impôts est quasiment institué ; copier sur son voisin (dans la vie ou des examens) se voit régulièrement ; forcer le passage dans la rue, en voiture, dans les transports arrive souvent ; l’abus d’avantages sociaux ou en entreprise à des fins personnels (comme les notes de frais par exemple) a provoqué un peu partout une réduction de ces derniers. Je m’arrête là, la liste serait trop longue. Ce sont autant d’incivilités et de comportements malhonnêtes qui sont, de plus, présents aux plus hautes fonctions de la nation. Il n’y a qu’à penser aux affaires liées à des élections ou financement de partis politiques pour en être convaincu. Or, à partir du moment où nos partis et nos élus se comportent ainsi, pourquoi le citoyen de base ferait-il mieux ? Ces comportements sont autant de petits stress qui s’accumulent au fur et à mesure du temps. En s’accumulant ils finissent, pour un certain nombre de personnes, à représenter un réel stress qui perdure. Or, tout stress qui perdure a un impact sur la santé, ce qui génère inévitablement un coût pour la sécurité sociale. Face à de telles habitudes sociétales et culturelles, comment être réellement dans la confiance, comment ne pas être en partie dans la défiance ?
Ne jamais reconnaître et assumer ses torts en essayant de justifier ses erreurs est malheureusement courant en France.
Cette perte de confiance peut être réduite voire contrebalancée lorsque le fautif reconnaît et assume son tort. Après tout, ça fait aussi partie de la vie, personne n’est parfait… et comme le dit le vieil adage, « faute avouée est à demi pardonnée ». Seulement, une autre particularité française nous frappe : l’absence de responsabilité devant ses actes. Durant ces trente dernières années, dans l’observation des comportements qui m’entourent, j’ai vu beaucoup plus de personnes n’assumant pas et ne reconnaissant pas leurs torts, cherchant toujours à les justifier ou à reporter la faute sur quelqu’un d’autre, que l’inverse. (Et là encore, ça commence au niveau gouvernemental.) Il n’est pas rare de voir des personnes verbalisées dans les transports ou par la police argumenter au lieu de reconnaître leur faute alors qu’ils ont été pris sur le fait. En famille, en entreprise, c’est souvent pareil. De même, combien de ministres ou d’élus pris la main dans le sac ont immédiatement reconnu les faits et démissionné dans la foulée ? Je n’en vois pas. Quel bel exemple pour la Nation ! Comment donc être facilement en confiance et avoir facilement confiance lorsque la mauvaise foi prime ainsi, comment ne pas être dans une forme de défiance ? S’inspirer des Anglais dont les ministres dès qu’ils sont suspectés par la justice démissionnent ne pourrait sans doute que nous faire du bien, ce serait un bon exemple pour les Français. Là encore, l’effet sur le stress et la santé est inévitable, ce qui représente un coût. Un coût financier encore, mais aussi un coût économique par son impact sur l’efficacité et l’insatisfaction professionnelle qu’il peut générer.
Se plaindre et ne jamais être content et satisfait, un syndrome français.
Râler et nous plaindre comme nous savons si bien le faire peut aussi alimenter la défiance en générant du stress pour soi et autour de soi (avec tous les coûts qui en découlent). Comment travailler réellement en confiance lorsque l’on sait (souvent inconsciemment) qu’à tout moment un client ou un collègue peut se plaindre ou râler ? Ça me semble peu évident. C’est si inscrit dans le fonctionnement des Français qu’inconsciemment nous savons que ça peut arriver à tout moment. Alors, cela ne favorise pas la confiance en soi et dans les autres. Par conséquent, cela n’engage peut-être pas à prendre des risques et rend difficile les changements, cela d’autant plus lorsqu’en tant qu’entrepreneur on est responsable juridiquement. Or, sans risques ni changements la société évolue plus lentement, il y a moins de création d’entreprises et donc d’emplois. Ce qui a un coût économique non négligeable… Comment alors aller de l’avant en période de crise et en sortir rapidement ? Pas facile…
La confiance parle, entre autres, de ce que l’on donne, de ce que l’on reçoit et de ce que l’on redonne.
Comme le dit Alain Caillé, « On ne peut faire le pari du don sans faire le pari de la confiance ». Comme je l’ai déjà présenté dans L’acte de Donner, le fait de donner est associé à l’attente (généralement non consciente) d’un retour. Lorsque l’on n’est pas sûr de recevoir, qu’il y a ainsi manque de confiance, comment s’autoriser à donner vraiment ? Difficile me semble-t-il. Un patron sera-t-il vraiment prêt à donner à ses salariés ? De même, un salarié donnera-t-il vraiment sans appréhension, une appréhension possiblement source d’insatisfaction (avec toutes les conséquences qui en découlent) ? Ceux qui en ont pris le risque ne l’ont généralement pas regretté, mais il est évident que cela ne se fait pas simplement. Donner, c’est aussi un engagement, l’engagement dans une relation où se développera un processus de don-contredon dans lequel on se redonnera réciproquement dans le temps. C’est un fonctionnement essentiel pour favoriser les bonnes relations, que cela soit en entreprise, en famille, entre amis et entre relations. Sans retour « juste », les relations se tendent, quand elles ne s’arrêtent pas. Lorsque la défiance plane autour de nous, lorsque l’appréhension de la tromperie est là, difficile de donner, difficile de vraiment donner, voire même de se donner. Cela se retrouve dans l’éducation (que ce soit de la part de beaucoup d’enseignants comme de parents), avec nos institutions, nos politiques, les syndicats, dans les familles… Eh oui, il y a une prise de risque dans le fait de donner et la confiance est ainsi nécessaire.
Français, nous sommes fiers de notre liberté d’expression et de contestation, mais toute liberté a un coût.
Se pourrait-il que l’insatisfaction constante que l’on sente en France soit liée à cette défiance qui nous entoure, notre réflexe d’essayer de contourner les lois et de contester à la moindre occasion ? La question se pose vraiment. Cette liberté que nous défendons et réclamons, aussi noble soit-elle, n’est pas anodine. Elle a obligatoirement un impact sur les vies de famille, nos manières de vivre, de consommer, de travailler et d’entreprendre. Elle a obligatoirement un impact sur notre économie. Elle génère des stress, donne une mauvaise image, met beaucoup de personnes en situation de vigilance constante, etc. Quel dommage lorsque l’on voit toute la richesse, le potentiel et la qualité personnelle et professionnelle de la majorité des Français.
C’est notre fonctionnement, nous sommes ainsi, le pays ne changera pas. Comme l’a dit Emmanuel Macron, il faudrait un « changement de mentalité », mais les changements de mentalité culturelle et de masse ne peuvent être programmés ni organisés. Par contre, nous pouvons tous autant que nous sommes essayer de changer cela à notre niveau, dans notre vie de tous les jours, autour de nous. Il suffit de se prendre en main et d’accepter de prendre le risque de le faire. Si une majorité d’entre nous le fait, la société changera peut-être progressivement. Alors, vivre en France deviendra encore plus agréable et l’économie de la France ne pourra que s’améliorer. Mais est-ce possible avec la sur-sécurité dans laquelle nous sommes et que nous défendons coûte que coûte ?
Cette question de la sur-sécurité française sera l’objet d’un futur article…