« L’imattente », cet imaginaire de et dans l’attente
L’attente est un espace-temps incertain qui s’installe entre deux moments, plein d’un imaginaire chargé d’un besoin et/ou d’un désir. Quelle que soit l’attente, quel que soit le contexte dans lequel elle s’inscrit, l’imaginaire prend une place primordiale dans cet espace, empêchant tout vide de s’installer. Cet imaginaire dans l’attente et de l’attente, je l’ai conceptualisé en 2008 sous le terme « d’imattente », lors de mon master recherche en Sciences de l’Éducation.
Ce qui suit est principalement extrait de mon mémoire de master, Entre don et contre-don, une attente : quel impact en éducation ?
J’ai construit « Im-attente » à partir de deux idées : l’imagination dans l’attente et l’imitation de ce vers quoi l’on tend, de ce que l’on attend. Pour cela, je me suis appuyé sur deux mots français et des racines latines : la contraction d’« image » et d’« attente » d’une part, et d’autre part la réunion de « im », non pas le préfixe négatif mais le « radical latin im- d’origine obscure qui serait à la base du verbe imitari (imiter) » et de « atendere (tendre à), racine latine du mot attente » (Le Robert 1995, p. 996).
J’appelle imattente cet imaginaire structurant du moment de l’attente qui s’installe dans celui-ci pour en combler le vide et l’imattence le fait d’être dans l’imattente.
S’appuyant sur les pulsions de l’individu, elle se nourrit et se crée à partir de la métabolisation de ses vécus et de ses imaginaires pour proposer des réponses, des résultats hypothétiques sous forme de représentations pour l’objet de l’attente. Ainsi, elle permet d’un côté à l’individu de patienter, de temporiser et de l’autre d’anticiper, de prévoir le résultat.
Elle propose une reproduction du passé/présent comme anticipation du présent/futur à venir. Elle est à la fois imaginaire et réalité, passé et présent, certitude et incertitude, espérance et désespérance, vie et mort.
« L’imaginaire unifie ce qui semble être séparé : le passé, le présent et l’avenir ; l’espace et le temps ; la naissance et la mort ; l’amour et la haine ; le stable et le mouvant ; la pensée et l’action ; la reproduction et la création » (René Barbier)
Elle est consciente ou inconsciente. Consciente, elle participera au réel en influant (même légèrement) sur celui-ci ; inconsciente, elle pourra agir sur l’humeur et se rappellera surtout à l’individu à la fin de l’attente, dans la satisfaction ou l’insatisfaction ressentie.
Elle est imaginaire parce qu’elle est une reproduction de l’expérience de l’individu ; elle est/devient réalité par l’espérance ou la crainte (désespérance) que l’imaginaire devienne réel lors de la fin de l’attente.
En cela, elle influe et nourrit la réalité car la différence existant entre l’imattente et la fin de l’attente jouera sur le réel de ce moment. Le delta sera ainsi source de plaisir ou de déplaisir en fonction de l’ampleur et de l’orientation du dit delta. Des plaisirs et des déplaisirs qui seront plus ou moins forts en fonction de la charge de l’imattente.
Ainsi elle est certitude car notre imattente est réalité le temps de l’attente, réalité fantasmée de l’individu. Mais elle est aussi incertitude car elle n’est qu’imaginaire et sa probabilité de correspondre au résultat de l’attente est très faible. Comme nous le dit Edgar Morin, « il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitude ».
En cela l’imattente est symbole du possible. « L’imaginaire ne s’analyse pas seulement à travers des contenus pleins mais aussi à partir de la façon particulière qu’a une image de faire surgir un monde ou d’empêcher un autre d’advenir. Il donne à voir des formes faites mais aussi des formes défaites, car devant l’image on est aussi devant ce qui se dérobe, ce qui fait obstacle » (Florence Giust-Desprairies).
L’imattente, en définitive, met en tension la réalité du dedans et la réalité du dehors. Celle de notre inconscient par l’imaginaire auquel il fait appel, mais aussi celle du réel par le passé/présent qu’il rappelle et imite, et le présent /futur vers lequel il tend.
Une interrogation me vient soudainement, l’attente, cet entre-deux, pourrait-il être dans certains cas considéré comme un espace transitionnel qui permettrait de soulager l’être humain de la tension suscitée par la mise en relation de la réalité du dedans et de la réalité du dehors ?
Dans cet espace-temps d’incertitudes où le doute prime, nous nous torturons souvent. Notre imaginaire vagabonde au gré de nos besoins et de nos manques. Cheval fou il galope dans les méandres de notre être, bousculant notre intérieur, éveillant des joies ou affres possibles que l’on se met à rêver ou à cauchemarder. Et moi… émoi… nous dit-il… que va-t-il se passer ou m’arriver ? Question sans réponses, pleine de sensations diverses et perturbantes, le temps que l’attente se termine… Ah temps te surprend de sa distorsion pleine de relativité quand le temps s’écoule, nous rappelant à nous au travers de l’autre. Plus l’imattente sera chargée, plus notre temps s’arrêtera, focalisé qu’il sera sur ce qui est attendu, d’où l’importance d’arriver à réduire ses attentes pour plus de sérénité, d’arriver à les décharger au maximum.
L’imattente est donc selon moi un élément incontournable de l’attente qui participe à la définition de la réalité qui suivra. Quelle pourrait être sa fonction dans nos comportements psychologiques, dans nos relations à l’autre, dans nos vécus quotidiens, dans nos structures sociales ? Cela reste à étudier.