Éducation et Confiance
La confiance peut-elle favoriser la construction des individus et la reconnaissance des uns envers les autres ? Et en cela, peut-elle être un élément favorable pour l’éducation, qu’elle soit scolaire, supérieure ou parentale ?
Dans nos sociétés occidentales, les individus sont souvent considérés comme irresponsables tant qu’ils n’ont pas atteint leur majorité. Même si pour certains délits graves la responsabilité des mineurs a été abaissée dans différents pays, cela reste une réalité. Et plus l’individu est jeune moins il sera considéré comme responsable. Cette irresponsabilité légale et socialement instituée n’est-elle pas la marque d’une absence de confiance vis-à-vis des jeunes et des enfants, si ce n’est carrément d’une méfiance quand ce n’est pas une défiance ? À quel point cela influe-t-il sur nos manières de nous comporter vis-à-vis des jeunes et des enfants ? Quel impact cela peut-il avoir sur leurs propres comportements et leurs développements ? Alors, Quelle place leur laisse-t-on vraiment dans une société sur-sécuritaire comme la nôtre ?
Qu’est-ce donc que « faire confiance » ?
- N’est-ce pas d’abord prendre le risque de se donner à l’autre ? L’autre, dans la liberté qu’implique la confiance que vous lui donnez vous impliquera inévitable dans ses actes, que ce soit de manière directe ou indirecte. Cela se voit notamment avec les enfants. Combien de parents, anticipant une hypothétique conséquence désagréable, n’osent faire réellement confiance à leurs enfants de peur de ce qu’on pourrait dire d’eux ?
- N’est-ce pas ensuite reconnaître en l’autre la capacité de faire quelque chose ? Et ainsi n’est-ce pas reconnaître sa valeur, son potentiel ? Cela ne favoriserait-il pas alors le fait de pouvoir grandir avec ce que l’on ait, par rapport à soi-même tout en tenant compte des autres, et non pas par rapport et en fonction des autres tout en s’oubliant en partie quand ce n’est pas totalement.
- N’est-ce pas enfin une possible absence de jugement et de condamnation ? Faire confiance en l’autre n’est-ce pas accepté et accueillir à l’avance et sans le savoir ce qui pourrait se passer en bien comme en mal ? Ainsi, n’est-ce pas aussi accepter que l’autre puisse se tromper, faire une erreur sans pour autant le réprimander ?Comment donc juger et condamner lorsqu’en faisant ainsi confiance nous autorisons l’autre à agir selon ce qu’il est, ce qu’il ressent et ce qu’il est capable de faire ? Ce n’est pas comme d’attendre qu’il fasse ou qu’il soit comme nous voulons qu’il fasse ou qu’il soit, posture malheureusement souvent source de jugements et de condamnations.
Bien évidemment, je parle ici d’une forte confiance relative, la confiance totale, même si elle peut être souhaitable étant si difficile à donner car devant être réciproque pour bien fonctionner.
La confiance donnée n’est-elle donc pas une liberté offerte à l’autre ?
Une liberté d’être soi vis-à-vis de nous, une autorisation à l’authenticité, une autorisation à faire. Cela ne serait-il pas vecteur de responsabilisation personnel ? À partir du moment où l’on vous autorise ainsi, où l’on vous laisse faire sans être régulièrement derrière vous, sans surveiller ce que vous faites et vous dire comment il faut faire, quand vous faites une erreur ou quand vous avez un problème, ne seriez-vous pas plus enclin à trouver une solution par vous-mêmes et à essayer de comprendre ce qui s’est passé plutôt que de vous reporter sur les autres ? Parce que dans ces moments-là, quand on vous fait réellement confiance, on ne vient pas pointer du doigt vos erreurs, on ne fait que nous les faire remarquer pour qu’on évite de les refaire, nous permettant ainsi d’apprendre et de grandir.
À l’inverse, n’y aurait-il pas risque de déresponsabilisation quand méfiance et défiance priment ?
La méfiance et la défiance, eux, ne favoriseraient-ils pas un repli sécuritaire derrière une figure protectrice : parent, grand frère ou grande sœur, État, Religion, partie politique, etc. ? Comment donc se sentir responsable lorsque l’on a en permanence quelqu’un qui nous protège, nous dit ce qui est bien et mal de faire (ou de penser), nous empêche de faire l’expérience de l’erreur, de la chute, veut parfois nous protéger de toutes douleurs ? Il me semble que l’absence de confiance si présente dans nos sociétés industrialisées favorise une certaine déresponsabilisation des individus ? N’entendons-nous pas souvent, aussi bien chez les jeunes qu’en entreprise le fameux « c’est pas moi c’est l’autre », quelle que soit la forme qu’il peut prendre ?
Nos systèmes éducatifs me semblent principalement organisés autour de la défiance et de l’absence de confiance : contrôle de connaissances, notations, contrôle de présence, etc. Ce que la compétition, à l’inverse de la coopération, n’arrange pas car qui dit mise en compétition dit inévitablement méfiance vis-à-vis de l’autre pour qu’il ne soit pas meilleur que soi.
Et pourtant, bien des dispositifs existants, qui ont fait leurs preuves, proposent une mise en confiance des apprenants, que ce soit dans les pédagogies nouvelles[1] que dans des dispositifs spécifiques mis en place par des enseignants et des formateurs de part le monde.
N’y aurait-il pas bien des avantages à faire plus confiance dans nos processus et dispositifs éducatifs ? Les jeunes, comme les moins jeunes n’auraient-ils pas plus tendance à se saisir de leurs enseignements lorsqu’on leur fait confiance ? Une confiance qui pourrait commencer dans l’écoute de ce qu’ils aiment et ce qu’ils voudraient faire. N’avez-vous jamais remarqué la différence d’implication dans leurs études entre les jeunes qu’on a laissé faire ce qu’ils voulaient, ce qu’ils ressentaient et ceux qui suivent les projets parentaux et familiaux ? En gros, entre ceux envers lesquels les parents ont décidé de faire confiance et ceux qui n’ont pas eu cette chance.
Pourquoi donc ce questionnement maintenant ?
La confiance : une posture de l’éducation Mongole
Tout simplement parce que je suis rentré depuis peu de Mongolie où j’ai été frappé par la maturité des jeunes enfants que j’ai pu croiser. Une maturité toute emprunte d’enfance, un mélange de comportement enfantin et de comportements responsables dans lesquels le jeu n’était pas absent.
Durant la grande majorité des 18h de trajet qui m’ont emmené de Oulan Bator à Moroun (Capital de la région du Kusgol) trois enfants n’ont cessé de rigoler et s’amuser dans le fond du bus. Cela a notamment duré toute la nuit. Ce sont sans doute les seuls qui n’ont pas dormi de tout le trajet. Au petit matin, alors que le jour se levait à peine au loin, environs 1h avant notre arrivée, le bus s’est arrêté au milieu de yourtes. Là, j’ai eu la surprise d’entendre rires et gloussements s’arrêter et de voir les jeunes se lever et commencer à sortir sac et paquets sans qu’on ne leur demande rien. Leur père qui était à l’avant du bus était immédiatement descendu, sans doute pour prendre ce qui était dans la soute à bagage. L’aînée m’a vraiment surprise. Du haut de ses 10 ans je pouvais sentir un sens de sa responsabilité et de son rôle. Ce n’était pas une enfant faisant l’adulte pour faire comme les grands mais un enfant responsable conscient de ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait. Contraste saisissant entre tout ce que j’avais vu et entendu dans le bus et lors des pauses durant tout le trajet. Ca m’a tellement surpris que je me suis promis d’observer les enfants que je croiserai. Ce que j’ai fait que ce soit à Tsarano, dans l’extrême nord de la Mongolie, au bord du lac Kusgol ou à Oulan Bator à mon retour.
Quelle surprise de voir :
- Un enfant de 5-6 ans sur un cheval, les pieds n’atteignant pas les étriers, en train de rassembler seul un troupeau de vaches. Il était clair qu’il s’amusait tout en le faisant.
- Une gamine de 4 ans toute de rose vêtue suivre son frère de 8-9 ans en train d’emmener paître le troupeau de chèvres et moutons (une quarantaine de têtes).
- Une jeune de 10 ans partir tout excité pour aller chercher le troupeau et inviter sa sœur de 13 ans à le suivre. Après une hésitation elle le suivit vers les chevaux.
- Deux jeunes d’environs 8 ans partir se saisir de clefs et de pinces dans une caisse à outil pour réparer la selle de leur vélo. Ils s’amusaient et rigolaient tout en le faisant. À un moment donné, l’un d’eux a fait je ne sais quoi sur le vêtement de l’autre, le faisant pleurer. Pleure d’enfants entre eux… dans une action responsable d’adultes. Je n’ai pu m’empêcher d’imaginer la même situation chez nous. Le gamin viendrait voir son père ou sa mère disant qu’il est cassé et se mettant à geindre ou pleurer stratégiquement dans le cas où ils ne viendraient pas s’en occuper immédiatement.
- En pleine steppe, prêt d’un bac, de voir un enfant en vélo guidant un troupeau.
- Un enfant d’Oulan Bator d’environs 7 ans discutant le portable à l’oreille alors qu’il rentrait tranquillement de l’école, seul, le cartable sur le dos. Cela m’a rappelé qu’il y a une trentaine d’années, les enfants circulaient beaucoup plus librement et seul dans les rues de Paris. Dès l’âge de 7 ans je rentrais seul de l’école, et pourtant j’avais environs 1 km à faire avec 3 voies passantes et 3 non passantes à traverser.
J’ai aussi été surpris par les étudiants que j’ai pu croiser dans des bars et avec lesquels j’ai pu discuter. À chaque fois j’ai senti une conscience du choix d’étude qu’ils faisaient et de ce qu’ils voulaient faire. C’était pleinement habité.
J’ai exprimé ma surprise à mon guide, Sainaa un jeune de 21 ans qui venait de valider son magister (bac +4) en physique nucléaire, ainsi qu’à sa tante, Naraa, mon contact en Mongolie et son mari français. Tous trois m’ont dit que pour les Mongoles, il était important que les individus apprennent la vie dès le plus jeune âge. Ils faisaient donc confiance en leur capacité, en leur potentiel. Une confiance qui, comme j’ai pu le constater, donnait un espace d’expression et de responsabilité immense aux enfants. Une responsabilité, a priori habité, qui participait à l’âme des lieux dans lesquels j’ai pu aller tout comme aux relations entre les Mongoles.
Cette confiance présente entre eux, on la retrouve aussi dans cette règle qui veut que l’on entre dans une yourte sans frapper. Quel n’a pas été ma surprise lorsque la porte du guest house s’est soudainement ouverte laissant passé la fille de 12 ans de la maison qui venait chercher quelque chose. Heureusement que je n’étais pas en train de m’habiller ou de faire ma toilette, l’évier se trouvant à côté de la porte. Confiance tout de même toute relative car quand ils s’en vont, ils font en sorte de fermer leur habitat.
Mais une confiance que j’ai aussi pu ressentir avec leurs animaux. La liberté des troupeaux de chevaux, vaches, yacks et chameaux est vraiment belle à voir. Elle participe de ce rapport affectif que j’ai pu ressentir entre eux et leur cheptel qui circule librement dans la steppe. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris comment ils faisaient pour les retrouver.
Je peux me tromper, mais cette confiance ne me semble pas conditionnée, tout simplement parce qu’elle traverse la culture et la communauté Mongole. Elle n’est donc pas instrumentalisée. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe d’autres travers psychologiques, rien n’est jamais idyllique !
Une confiance dictée par le climat et la dureté de la vie des steppes !
En y réfléchissant, il m’apparut alors évident que la dureté du pays et de la vie des steppes avait dû dicter cette règle sociale. Je me souviens de Corinne Sombrun réveillée en pleine nuit par la fille de treize ans de ses hôtes pour aller rattraper et rattaché leurs animaux[2]. Ses parents étaient absents cette nuit-là. Il semblerait que dans la steppe et dans les montagnes Mongoles, leurs conditions de vie imposent de devoir compter les uns sur les autres, quels que soient les âges. Ce qui tendrait à s’amenuiser à Oulan bator avec la vie citadine.
Alors, cette règle de conduite que le climat leur a dictée ne peut bien évidemment être adaptée dans nos contrées tempérées et nos cités surdimensionnées où tout est plus facile. Maintenant, n’y aurait-il pas des enseignements à en tirer ? Voir et vivre cela m’a renvoyé à ma propre enfance, mais aussi à ces moments où, depuis que je suis formateur et que j'enseigne, j’ai pu donner ma confiance à un jeune, lui laissant la possibilité de faire. Aucun d’entre eux, qu’ils aient 7 ou 20 ans ne m’a jamais déçu, tout au contraire. À chaque fois j’ai pu constater une plus grande présence dans ce qu’ils faisaient, une autre attention qui était plus habitée, une relation positive qui s’installait entre nous, une confiance réciproque qui s’installait. La confiance donnée ainsi librement, sans attente spécifique, n’inviterait-elle pas à la confiance de l’autre ? Et qui dit confiance ne dit-il pas reconnaissance de l’autre ? En lui faisant confiance, ne lui montrons-nous pas qu’il existe pour ce qu’il est ! Il me semble que cet état ne peut que favoriser l’apprentissage, quels que soient l’âge et le contexte, qu’il ne peut qu’inviter l’apprenant à participer et se saisir de son apprentissage.
[1] Ou plutôt dite encore « nouvelle » car elles ont pour la plupart déjà plus de 60 ans. Cette terminologie pour des pédagogies ayant fait leur preuve depuis longtemps n’en dit-il pas long sur notre immobilisme ou sur la domination de certains systèmes et organismes internationaux sur l’Education dans le monde ?
[2] Mon initiation chez les chamanes, 2004, Albin Michel.
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