Quelle finalité pour l’éducation que vous donnez ?
Pourquoi éduquons-nous et formons-nous ? Et à quelle fin ?
Il est un fait que tout le monde semble reconnaître, c’est que l’Education est en crise depuis un certain temps. Et la France n’est pas seule dans ce cas-là, la majorité des pays sont concernés. Cette crise pourrait-elle être en partie liée à cette question ? Peut-être, peut-être pas… Mais, ne trouvez-vous pas qu’il y a une normalisation des études supérieures dans le monde ? Avez-vous remarqué comme le classement des Universités et des Grandes Ecoles montre une uniformisation du système des études supérieures, principalement faîte sur le modèle occidental ? Pour rappel, on ne peut classer que ce qui se ressemble, par exemple on ne peut classer des navets et des chaussettes ensembles. Et ne serait-ce pas la même chose pour les organisations éducatives ? Qu’est-ce que cela peut donc dire de la finalité de l’éducation dans le monde ? Y aurait-il une finalité globale qui s’installerait sous l’influence de nos institutions internationales ?
L’éducation étant avant tout une question de culture, cette question ne mérite-t-elle pas d’être posée ? En effet, ne pensez-vous pas que l’éducation familiale, l’éducation scolaire des enfants et des adolescents se fait principalement selon la culture locale, et donc avec une finalité locale ? La finalité de l’éducation locale Africaine, du Sud-Est Asiatique est-elle la même que celle des pays occidentaux ? Il y a de grandes chances que non. Par contre, les études supérieures sont, de manière générale, organisées selon un mode devenu global avec sans doute une même finalité très inspirée de celle des pays occidentaux. Alors, tout d’abord, n’y aurait-il pas là « choc éducatif » entre la fin du secondaire (ou équivalent) et le supérieur ?
Vous allez peut-être me dire que j’exagère un peu en posant que le système d’études supérieures occidental prédomine ainsi. Si c’est le cas, en êtes-vous si sûr ? Savez-vous que les réformes de l’Education et des Etudes supérieures de beaucoup de pays émergeant sont imposées par le FMI et la Banque Mondiale, le remboursement de leur dette étant mi en balance pour les forcer à agir ? Alain Mounier et Phasina Tangchuang nous en parle dans Education and Knowledge in Thailand: The Quality Controversy (2010). Et puis la pensée occidentale ne domine-t-elle pas l’organisation des principales institutions internationales (ONU, OMC, FMI, Banque Mondiale, OMS, Unesco, etc.).
Pour en revenir à mon propos initial, n’y a-t-il donc pas choc possible entre des finalités éducatives différentes ?
Si l’on remonte dans l’histoire de l’occident, et principalement de l’Europe, voici ce que l’on peut dire de l’évolution des finalités de l’éducation.
- Sous l’antiquité, la finalité de l’éducation était la « raison » : « l’adaptation à un cosmos intelligible qu’il suffisait de comprendre afin d’y intégrer sa conduite de manière harmonieuse » (B. Jolibert, Raison et Education).
- Au Moyen-Age, la finalité est le « salut », « la transcendance ». Avec l’arrivée d’un Dieu unique et tout puissant, la raison et le savoir sont remis en question par la foi.
- A la Renaissance, c’est la « réalisation de l’Homme dans l’Homme ». Ce sont les sciences et le savoir qui éveillent la faculté rationnelle.
- Au siècle des Lumières, le XVIIIe, c’est « l’homme », « c’est-à-dire que celui qui éduque agit au nom d’une certaine idée, d’une certaine image de l’homme. » (G. Barnier, Philosophie de l’Education, Grands courants pédagogiques).
- Au XIXe, c’est « la personnalité morale libre » qui est la finalité essentielle de l’éducation. « A l’éducation de faire que chacun puisse se développer comme personne libre » (B. Jolibert, Raison et Education).
Quel est donc le point commun des différentes finalités de l’éducation en Europe, de l’antiquité au XIXe siècle ? Une vision de l’Homme. L’éducation concernait principalement l’homme et son devenir (pour celles et ceux qui y avaient accès bien évidemment).
Et qu’en était-il dans les autres cultures et les autres régions du monde ? Qu’en était-il au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie, chez les Amérindiens, les Indiens et autres ? La philosophie de l’éducation aborde principalement l’éducation occidentale, comme si c’était là que se trouvait la « bonne éducation ». Ne serait-il pas intéressant d’aller explorer ce qu’il en a été dans les autres cultures et de voir ce que l’on pourrait en apprendre ?
Et maintenant, depuis la fin de la 2° Guerre Mondiale, qu’en est-il ? Qu’est devenue la finalité de l’éducation en occident mais aussi dans le monde ? La question de l’Homme en fait-elle toujours partie ? Je ne sais pas vous, mais je n’en ai pas vraiment l’impression. Notre éducation n’est-elle pas beaucoup plus tournée vers une réponse aux besoins économiques de notre temps ? N’est-elle pas tournée vers une « conformité consommatrice » ? Ne serions-nous pas passés d’une idée de l’Homme que l’on cherche à grandir à une idée de l’Homme que l’on « objectise » ? C’est-à-dire d’un homme devenu « objet » d’un système que l’on devrait servir aveuglément, au nom d’un toujours plus. Un toujours plus qui au niveau de la nature et du biologique ne semble pas avoir de sens.
Vous pouvez, bien évidemment ne pas être d’accord avec moi. Mais l’éducation, en tout cas en occident, dès le plus jeune âge, n’est-elle pas, maintenant, principalement tournée vers le devenir professionnel au travers de compétences à acquérir et à faire valoir ? Elle me semble fort peu tournée vers la réalisation de l’individu. Vous pourrez aussi me dire que nous avons besoin de travailler pour vivre et qu’il est normal d’y préparer les jeunes. Certes, j’en conviendrais et ne dirais pas le contraire. Cependant, qu’est-ce qui est le plus important ? Préparer les jeunes et les amener vers un métier qui leur convient, qui fasse sens pour eux ou les préparer et les amener vers un métier nécessaire au système ? Ne créerions-nous pas ainsi, des générations de névrosés professionnels en puissance depuis longtemps ? Pourquoi adapter l’Homme aux besoins économiques et du système (pour une grande part créés par l’Homme) plutôt qu’adapter le système et l’économie aux besoins et à la réalisation des individus ? Pourquoi l’éducation ne chercherait-elle pas le bien-être par la réalisation de soi et un métier, de préférence, en convergence avec ce que l’on est, au lieu de nous préparer à un rôle utilitaire ? L’éducation telle qu’elle est proposée actuellement ne nous chosifie-t-elle pas au lieu de chercher à nous grandir et nous aider à mieux vivre ensemble ? Parfois, je me demande s’il y a une grande différence entre la manière dont on traite le bétail et un certain nombre d’animaux et la manière dont nous nous traitons entre humain. Quelle différence entre les cohortes de personnes partant au travail le matin et les troupeaux de bœuf que l’on emmène dans leur enclos, voire à l’abattoir !
Alors, quel sens peut donc avoir cette éducation pour la majorité des individus ? Quel sens les jeunes peuvent-ils donc vraiment donner à leurs études, à leur éducation lorsque finalement on les traite comme des objets utilitaires au service d’un système qui nous échappe ? Sorte de Golem que nous aurions créé, dont nous aurions perdu le contrôle et que nous ne pourrions plus arrêter. Ne pourrait-on y voir un sens à la crise éducative que nous vivons ?
Quelle finalité, donnons-nous individuellement à l’éducation ? Si vous êtes parent, quelle finalité donnez-vous à l’éducation de vos enfants ? Si vous êtes enseignant, formateur, éducateur, quelle finalité donnez-vous à l’éducation que vous prodiguez ? Vous êtes-vous jamais posé la question dans votre pratique ? Réussir à y répondre ne nous permettrait-il pas d’être plus en cohérence avec nos pratiques et nous-mêmes ? Cela ne pourrait-il faciliter la congruence ? Cela ne pourrait-il pas, éventuellement, favoriser un mieux-être ?
Cet article vous a plu ? Pourquoi donc ne pas le partager avec d'autres, cela pourrait aussi intéresser une de vos relations.