Méthodologie de recherche en éthologie : quel apport pour les sciences humaines ? 5/7
Les différents étages de fonctionnement de nos organismes : un cadre biologique tenant compte des trois niveaux du cerveau
Les trois niveaux biologiques du cerveau représentent un cadre indispensable à prendre en compte dans la recherche en éthologie. Ils représentent différents étages de fonctionnement de notre organisme. Si ça ne rentre pas dans ce cadre biologique, les éthologues ne peuvent ni analyser ni discuter de ce qu’ils observent. Pour parler de l’ésotérisme, par exemple, il leur faut transformer le tout en information sensorielle. Pourquoi cela ? Parce que tout passe par le sensoriel et le cerveau, ce dernier traitant à différents niveaux les informations qu’il reçoit.
Pour rappel, voici ces trois niveaux :
- Le cerveau reptilien qui assure toutes les fonctions vitales.
- Le système limbique qui s’est développé à partir des couches externes du système olfactif. Il régule/assure nos affects et est le siège de la mémoire à long terme.
- Le néocortex auquel le système limbique a donné naissance. Il est composé de :
- 3 couches inférieures qui concernent les fonctions sensori-motrices (La plupart des animaux, comme les chiens et les chats, n’ont que ces 3 couches).
- 3 couches supérieures qui concernent les fonctions associatives. Elles servent à réfléchir, à abstraire, elles permettent de savoir, de reconnaître, de donner du sens. C’est comme un bureau d’étude qui interprète, crée à partir des informations qu’il reçoit et qu’il transmet aux 3 couches du dessous, l’atelier, qui lui réalise. Sans ces 3 couches supérieures, on est que dans le ressenti qui est la situation de la grande majorité des espèces.
Ainsi, dans les fonctionnements de tous les individus, quelle que soit l’espèce, il y a recueil d’informations des couches sensori-motrices (niveau inférieur du cerveau) qui sont interprétées et réarrangés au niveau supérieur, ce qui permet une créativité plus ou moins développée en fonction du développement du néocortex chez les espèces qui en ont un (l’animal-homme étant celui chez qui il est actuellement le plus développé).
À cela s’ajoutent les fonctions finalisées qui sont la base du fonctionnement de tout animal. On ne peut s’activer qu’en fonction des fonctions finalisées de notre espèce. Nous agissons en fonction de stimulus lancés par l’hypothalamus : pulsion, besoins. Ces derniers vont être fixés au niveau du système limbique et vont prendre une fonction affective.
Si on traduit la fonction alimentation au niveau des différents cerveaux, ça donne cela :
- Cerveau archaïque : se nourrir, bouffer.
- Cerveau limbique : gastronomie (coloration affective)
- Cerveau cortical : on parle gastronomie, on échange des recettes.
Ainsi, la pulsion initiale devient une envie qui devient un projet.
Il existe des fonctions universelles, celles que font toutes les espèces : les sensoriels et les comportementales. Ce fonctionnement a été synthétisé au travers du schéma Lorentz-Craig que l’on pourrait résumer ainsi : l’organisme est conçu avec un système sensori-moteur. Pour que les actions se déclenchent, il faut que le système le demande, ce qui crée un besoin qui déclenche une recherche de comportement d’appétence pour y répondre, ce qui provoquera la réalisation d’un acte consommatoire. (Pour en savoir plus sur ce sujet lire « Les modules comportementaux biologiques mis en lumière par l’Éthologie »)
Dans « Éducation et pédagogie sous le prisme du biologique », j’ai questionné ce que pouvait venir interroger le schéma Lorentz-Craig en éducation et en pédagogie. Je vais donc essayer de ne pas trop m’étendre… quoi que… me connaissant… nous verrons si j’y arriverai. Bin oui ! Je suppose que vous avez remarqué que j’avais tendance à un peu beaucoup écrire… Bon, poursuivons donc…
J’ai remarqué que de manière générale, étudiants-chercheurs, enseignants-chercheurs et néophytes en la matière étaient dérangés à l’idée de ramener l’analyse de nos comportements au biologique. C’était comme si nous étions « plus » que simplement du biologique. Alors, peut-être que oui, mais peut-être que non. Les connaissances actuelles ne permettent aucunes certitudes. J’ai pu le constater avec des anthropologues, des sociologues, des psys divers, des économistes et autres. À chaque fois cela m’intrigue. À chaque fois, la sensation que j’ai, c’est la présence d’une forte résistance, comme si cela viendrait mettre en question « leur supériorité d’humain ».
Et pourtant, ne sommes-nous pas avant tout des machines biologiques dont le cerveau est le contrôleur général ? Lors de mon travail pour l’écriture de « Devenir auteur de sa vie », j’ai découvert que le principal rôle de notre cerveau était de maintenir notre équilibre interne et externe (notre homéostasie) pour nous maintenir en vie. À l’époque, j’ai réalisé qu’on ne pouvait plus faire de recherche en sciences humaines sans tenir compte de l’évolution des connaissances sur le cerveau (neurologie et neuropsychologie). J’avais aussi pressenti l’importance que pouvaient prendre les connaissances apportées par l’éthologie. La formation que je suivis plus tard en éthologie humaine et dans laquelle je découvris le schéma Lorentz-Craig me le confirma. Ce schéma m’a permis de visualiser l’impact des régulations du cerveau. La majorité des pathologies physiologiques et psychologiques, si on les ramène à l’élément essentiel mis en cause et à régler, ne renvoient-elles pas à un dysfonctionnement de besoins liés aux fonctions finalisées, d’abord comportementales, mais aussi sensorielles ? Les fonctions finalisées comportementales sont, pour les humains et de la plus importante à la moins importante : la sauvegarde (dans laquelle il y a l’idée de sécurité avec ses comportements basiques d’alerte, de fuite et d’agression), les relations (avec ses spécificités comportementales interindividuelles, sociales, interspécifiques et familiales), la subsistance (avec les comportements liés à la nourriture, l’abreuvement, l’habitation, l’adaptation à l’environnement, au biotope) et récupération (avec le repos éveillé, le sommeil et le sommeil paradoxal). En fonction du niveau du cerveau où l’information est traitée, les informations prendront un sens différent.
Bien évidemment je peux faire fausse route, mais qu’il y ait chez l’animal-homme quelque chose de « plus » et de supérieur que chez les autres espèces ou qu’il n’y ait rien, notre fonctionnement est majoritairement biologique. C’est le biologique qui nous maintien en vie. Et s’il y a autre chose (quel que soit le nom qu’on lui donne, âme, esprit ou autre), il est inévitablement indexé et lié à notre fonctionnement biologique et à ses dysfonctionnements. Ce biologique qui permet aux organismes de vivre. Et nos comportements, nos relations de groupe et interindividuelles font partie de tout cela. Ne serait-il donc pas intéressant d’inclure dans nos recherches en sciences humaines ces dimensions et de voire ce que cela pourrait apporter comme j’ai essayé de le faire avec l’éducation et la pédagogie, et comme je compte essayer de le faire avec le don maussien, mon objet de recherche principal ? N’y aurait-il pas là beaucoup à apprendre sur nous-mêmes, sur nos fonctionnements, mais aussi sur nos dysfonctionnements ?
Par exemple, Jean-Claude Barrey nous a dit que les primates vivent généralement par groupe de 40-50 avec un minimum de relations entre les groupes. Au-delà de ce nombre, ils ne fonctionnent plus bien. Comprendre ce que cela pourrait dire des groupes de primate ne pourrait-il pas en dire long sur les difficultés relationnelles de l’espèce humaine ? Après tout, bien que neurologiquement les plus évolués, nous sommes toujours des primates. Si ce fonctionnement à 40-50 prend biologiquement sens, qu’est-ce que cela peut dire de nos fonctionnements ? Cela pourrait-il dire que nous sommes dans un fonctionnement pathologique chronique du fait de notre surpopulation ? Et à partir de là, qu’est-ce que cela pourrait dire des difficultés sociales qui habitent nos grandes villes ? Qu’est-ce que cela pourrait aussi dire des théories économiques qui actuellement nous régissent, ainsi que de leur évolution dans l’histoire ? Un économiste m’a récemment dit qu’il y avait un lien entre l’évolution des théories économiques et celle de la démographie. Qu’est-ce que cela pourrait aussi dire de nos organisations, de l’organisation des groupes de travail, etc. Bon, ce n’est qu’un exemple des ouvertures que cela pourrait, selon moi, apporter. Mais peut-être suis-je trop idéaliste ou à côté de la plaque… qui sait !
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