Méthodologie de recherche en éthologie : quel apport pour les sciences humaines ? 1/7
Jean-Claude Barrey[1], lors de son intervention du samedi 23 février 2013 dans l’axe « École de la recherche » de l’UCP, nous a présenté la méthodologie de recherche en éthologie, et plus particulièrement en éthologie néoobjectiviste. Quels apports pour la recherche en sciences humaines peuvent donc apporter les méthodes éthologiques et l’éthologie ?
En résonance avec sa personnalité, cette intervention fut interactive, le public que nous formions interagissant régulièrement avec lui. Ce qui a provoqué diverses digressions riches d’apprentissages au travers desquels la méthodologie a été abordée. Ainsi, en plus de la méthodologie, les thèmes suivants furent abordés :
- Qu’est-ce que c’est que la décentration, (enregistrement A, 17e minute 20)
- Les différents étages de fonctionnement de nos organismes, cadre de nos fonctionnements, (enregistrement A, 27e minute 30)
- Epigénétisme et évolution : le cas de la « domesticabilité » et l’homme ce primate, (enregistrement B)
- Évolution et adaptation, (enregistrement C et D, 2e minute 55)
- Le schéma de Lorentz-Craig, (enregistrement D, 46e minute 40)
Pour celles et ceux que cela pourrait intéresser, voici les enregistrements de l’ensemble de la séance dans lesquels vous pourrez les écouter :
- A - Meth rech ethologie - UCP 20130223 - B-conference.m4a (42‘)
- B - Meth rech ethologie - UCP 20130223 - C-conference.m4a (19‘)
- C - Meth rech ethologie - UCP 20130223 - D-conference.m4a (42‘)
- D - Meth rech ethologie - UCP 20130223 - E-conference.m4a (54‘)
- E - Meth rech ethologie - UCP 20130223 - F-echange.m4a (21‘)
- F - Meth rech ethologie - UCP 20130223 - G-echange.m4a (2‘)
Alors, qu’en est-il de la méthodologie en Éthologie ? Pour en discuter et interroger ce que cela peut apporter dans la recherche en Sciences Humaines et voire même dans la recherche en général, je vais reprendre les différents points qui nous ont été présentés et les interrogerai dans la foulée. Afin de différencier les apports de Jean-Claude Barrey de mes interrogations, j’écrirai ces dernières en italique. Voici les points en question :
- L’Umwelt, le monde propre à chaque espèce,
- La décentration ou tenir compte de ce qui est et non de ce que l’on est,
- Un type de recherche inductif,
- L’observateur oublié,
- Les différents étages de fonctionnement de nos organismes : un cadre biologique tenant compte des trois niveaux du cerveau,
- Les 6 étapes de l’observation (selon Timbergen),
- Objectivité – subjectivité,
- Les erreurs méthodologiques possibles.
Mais avant d’aborder ces différents points, qu’est-ce donc que l’éthologie ?
Qu’est-ce que l’Éthologie ?
L’éthologie, c’est la biologie comparée du comportement des espèces.
On ne peut donc être éthologue d’une seule espèce, on est obligatoirement éthologue de toutes les espèces (dont l’espèce humaine), mais avec une ou plusieurs spécialisations.
L’éthologue est un primate qui étudie d’autres familles biologiques. Ainsi, c’est toujours en tant que primate qu’il mène son étude (avec ses spécificités et son Umwelt de primate) sans jamais oublier l’espèce qui se trouve en face de lui (qui a ses propres spécificités et son monde propre, son Umwelt).
L’éthologie est ainsi une science de l’observation, une science du vivant qui fait une incursion dans le monde du vivant.
L’Umwelt, le monde propre à chaque espèce
La notion d’Umwelt est une notion centrale en éthologie.
« Chaque espèce animale vit dans un monde perceptif et significatif qui lui est propre, c’est son Umwelt, son monde propre. Ce qui est signifiant pour l’un (mouvement, couleurs, bruits, odeurs) n’existe parfois pas du tout dans le monde de l’autre, les stimuli sont propres à chaque espèce, et de plus, sont plus ou moins signifiants selon l’état perceptif de chaque individu. » (Agnès Maillard, Anthropomorphisme et éthologie, Revue Etho-logique, www.ethologie.info, 30/05/04)
L’étude de l’animal se fait toujours dans son fonctionnement et son environnement normal de vie, dans des conditions sociales normales. Cela implique d’avoir un échantillonnage de population diversifié qui correspond aux conditions sociales de vie de l’espèce de l’individu. Toutes les possibilités doivent ainsi être prises en compte. Tous les paramètres de vie doivent être présents. L’umwelt de l’animal doit ainsi être pris en compte et respecté.
Cette notion de monde propre à chaque espèce ne peut-elle être transposée et appliquée au sein de l’espèce humaine ? Ne peut-elle pas non plus avoir tout son intérêt dans la recherche en sciences humaines ? Même si tous les humains fonctionnent à partir d’une biologie commune et donc de signifiants biologiques communs, le sens que nous donnons aux stimuli que nous recevons est-il pour autant le même ?
La particularité de l’animal-homme, par rapport aux autres espèces, est d’avoir un néocortex plus développé, notamment les couches 2 et 3 de la partie supérieure (lire et écouter à ce sujet « Les différents étages de fonctionnement de nos organismes… »). C’est ce dernier qui nous permet d’imaginer, de créer, de nous décentrer, de donner du sens aux choses (ce que la parole renforce), etc. Une spécificité humaine est donc qu’à partir des mêmes stimuli, nos signifiants peuvent être différents.
Ainsi, en fonction de notre culture, du pays dans lequel nous vivons, de notre religion, nous donnons des sens différents à tout ou partie de ce que nous pouvons ressentir et percevoir. Mais n’est-ce pas aussi le cas en fonction des origines sociales, des métiers pratiqués, des secteurs d’activité, des âges, etc. Ne serait-il pas intéressant, dans la recherche en sciences humaines, de tenir compte des Umwelt des groupes étudiés. C’est-à-dire, comme le font les éthologues, de ne pas interpréter ce que l’on voit à partir de notre propre Umwelt, mais de comprendre ce qui se passe à partir de l’umwelt des individus observés, ce qui implique de faire preuve de décentration.
[1] Jean-Claude Barrey est éthologue spécialisée en éthologie équine et en éthologie humaine et fondateur de la Station de Recherche pluridisciplinaire des Metzqu’il dirige toujours. Il a été élève de Rémi Chauvin, fondateur de l’éthologie française.
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