Méthodologie de recherche en éthologie : quel apport pour les sciences humaines ? 2/7
La décentration ou tenir compte de ce qui est et non de ce que l’on est.
Dans l’observation des individus, en éthologique on tient compte de ce qui est et non pas de ce que l’on est. Mais pour cela, un cadre biologique et théorique est nécessaire.
Il y a ainsi étude/observation d’un sujet vivant en tant qu’individu ou dans le cadre de son espèce, c’est-à-dire dans son cadre de vie “naturelle”, son biotope.
Pour cela, il y a une condition essentielle pour étudier le cadre opérationnel : avoir une capacité de décentration (à prendre dans le sens de Piaget), c’est-à-dire voire notre espace global à partir d’un autre centre que nous-mêmes, en commençant par le péricentrisme pour arriver à l’allocentrisme. Sans décentration, on ne peut faire d’éthologie.
Tout individu observe son espace à partir du point central qu’il représente. Nous les humains, nous sommes au centre d’un axe à trois dimensions (un certain nombre d’espèces n’en perçoivent que deux). C’est l’égocentrisme (position d’observation qui donne, entre autre, l’anthropomorphisme).
- Le péricentrisme, c’est se reconnaître de l’extérieur, se voir de l’extérieur. Cela revient à choisir un autre point central d’observation que le nôtre.
- L’allocentrisme c’est déplacer son point central pour le confondre avec celui de l’autre. C’est difficile mais réellement nécessaire dans certaines professions (comme les psys, l’enseignement/la formation, etc.). Mais, pour ne pas prendre le risque de devenir l’autre, ce doit être fugace, ne pas durer. Ce n’est pas obligatoirement de l’empathie (qui est une forme d’allopathie), dans l’allopathie car il n’y a pas systématiquement une dimension affective.
Si je ne me trompe pas, la position privilégiée dans la recherche en sciences humaine est le péricentrisme, mais celle-ci ne part-elle pas de ce que nous sommes, de nos propres perceptions et de notre compréhension du monde ? Ne part-elle pas de notre monde propre, notre Umwelt (notion essentielle en éthologie qui sera abordée plus loin) ? Et en cela, n’y a-t-il pas risque de projections et d’interprétations erronées ? Je ne sais pas pour vous, mais c’est l’impression que me donnent parfois des spécialistes qui s’expriment pour commenter un événement, une situation, une actualité. Ne serait-il pas intéressant de développer les capacités d’allocentrisme des chercheurs afin de leur permettre de prendre cette posture au moment opportun de leur recherche ?
En fonction du mode d’observation dans lequel nous sommes, nous sommes généralement égocentrés ou péricentrés lorsque nous faisons nos observations, ce qui me semble plutôt juste. Mais, malheureusement, ne le sommes-nous pas aussi généralement au moment de l’analyse du terrain, alors que parfois (si ce n’est peut-être souvent) être allocentré serait préférable ? Comment donc faire une analyse pertinente lorsque nous partons de notre propre référentiel sans connaître suffisamment celui de l’autre et sans être capable de se mettre à sa place ? Cela me semble difficile, pas vous !
Maintenant, pour pouvoir prendre cette posture, n’est-il pas nécessaire de connaître suffisamment le monde propre de l’autre ? Et lorsque ce n’est pas une capacité personnelle, n’est-il pas nécessaire de la travailler et donc d’y être formé ? Or, est-ce le cas dans la recherche ? Malheureusement souvent non. Combien de temps passent les chercheurs à connaître le monde propre de l’autre avant de parler de lui ou en son nom ? Il est rare que nous le sachions. Et ce temps est-il suffisant pour réellement le connaître ? Je suppose que souvent non, même si ça n’enlève pas obligatoirement la pertinence de certaines conclusions. (En éthologie, on considère qu’il faut 10 à 12 ans d’observation continue d’une espèce pour bien la connaître). Et combien y a-t-il de cours dans les Universités et les Grandes Écoles qui proposent une formation à l’allocentrisme ? Personnellement, je n’en ai jamais vu. Je me permets donc l’hypothèse que s’il y en a, il ne doit pas y en avoir beaucoup. Bon, il faut aussi dire que pour enseigner l’allocentrisme, n’est-il pas nécessaire d’en maîtriser la posture ? Or, l’empathie des enseignants vis-à-vis de la situation de leurs étudiants n’étant pas systématique et courante. Les aptitudes de la majorité d’entre eux à l’allocentrisme me semblent questionnables.
Mais ne serait-ce pas pour autant intéressant à développer dans la recherche en sciences humaines ? Ne serait-ce pas ainsi intéressant d’aborder nos terrains en commençant par une observation principalement péricentrée, sans hypothèse ni préjugé initial, afin de noter librement tout ce que l’on observe, pour ensuite mener une analyse allocentrée des matériaux recueillis ? Et ne serait-ce pas intéressant de le faire, de préférence, de manière inductive ?
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