Méthodologie de recherche en éthologie : quel apport pour les sciences humaines ? 3/7
Un type de recherche inductif
En éthologie, le raisonnement est inductif, c’est-à-dire que l’hypothèse suit l’observation. Ce qui est l’inverse de la recherche en général qui est plutôt hypothético-déductive.
Rémi Chauvin (père de l’éthologie française) disait que « l’éthologiste s’interdit de dire quoi que ce soit avant une étude soigneuse, prolongée et non directionnelle de l’animal dans ses conditions naturelles ; c’est après, et non pas avant, qu’il commence à théoriser ».
En éthologie néoobjectiviste, les études ne doivent pas être directionnistes. On étudie l’animal sans savoir ce qu’on étudie, dans son biotope. C’est l’animal lui-même qui va nous guider vers la découverte et la connaissance. Au début, c’est l’observation sans imaginaire, la rencontre avec l’imaginaire pourra venir par la suite.
Je trouve personnellement cette approche extrêmement intéressante. Régulièrement, lorsque je lis les résultats d’une étude, je me demande si ces derniers ont été plus ou moins influencés par l’hypothèse initiale (sans compter l’influence des attentes possibles des commanditaires, quand il y en a). Conserver de la distance vis-à-vis de sa propre hypothèse est ce qui me semble le moins évident lorsque l’on mène une recherche. En effet, à partir du moment où nous avons émis une hypothèse que nous cherchons à valider, comment être sûr de notre propre indépendance ? Ne devenons-nous pas alors, en partie, esclave « non conscient » de cette hypothèse ? Je m’explique. Les études en neurologie ont montré que lorsque notre attention était prise par quelque chose, nos sens se focalisaient sur cette dernière, ne percevant plus autant, voir plus du tout, ce qu’il y a autour (c’est notamment ce qui rend efficace les techniques des prestidigitateurs et des pickpockets). Ce pourrait-il donc que le même phénomène ait en partie lieu lorsque nous menons une recherche ? À quel point notre attention ne privilégie-t-elle pas tout ce qui irait dans le sens de notre hypothèse aux dépens de ce qui pourrait ne pas y aller ? À quel point, parfois, lorsque l’on n’est pas vigilant, le choix du terrain et le protocole d’étude arrêté ne favoriserait-il pas l’hypothèse initiale ? Le fait d’être plusieurs sur une recherche limite bien évidemment ce type de risques, mais il me semble que ça ne fait que le limiter. Et lorsque l’on est seul, comme beaucoup d’étudiants-chercheurs en master recherche ou en doctorat tout comme un certain nombre d’enseignants-chercheurs peuvent l’être, quelle limite peut-il donc y avoir ?
Une approche inductive ne permettrait-elle pas d’optimiser l’efficience des recherches en sciences humaines ? Mais que pourrait être une telle recherche inductive et comment la mener ?
- Tout d’abord, cela ne pourrait-il pas être l’observation et l’étude d’un phénomène au sein d’une population spécifique, sans hypothèse initiale ? Ce qui existe déjà parfois, d’ailleurs, en anthropologie et en sociologie. Mais le généraliser avec la décentration proposée par l’éthologie ne serait-il pas bénéfique ?
- Ensuite, cela ne pourrait-il pas être de mettre en place un protocole d’étude et un terrain dans lequel l’hypothèse initiale serait oubliée ? L’idée, ici, est de voir si elle reviendrait au cours des observations, de ce qui se passerait, d’où le terrain nous emmènerait. Mais pour cela, l’initiateur de l’hypothèse peut-il participer au travail de terrain sans prendre le risque de fausser les observations comme j’en ai déjà parlé ? Pour éviter cela, ne serait-il pas intéressant de mettre sur le terrain un chercheur vierge de toute hypothèse, ce qui nous ramènerait à la situation précédente ? Ce qui demanderait un lâcher prise de celui qui a lancé la recherche sur son objet de recherche. En gros, une réduction, voire un « lâchage » d’ego. Et là, c’est loin d’être évident… N’est-ce pas !
Certes, travailler de manière inductive implique non seulement une posture de chercheur dans laquelle on acceptera de se laisser emmener par notre terrain et notre sujet d’étude, mais ça implique aussi le fait d’accepter de ne pas savoir et de douter, tout comme d’accueillir l’incertitude, l’aléatoire et la surprise (bonne ou mauvaise). Cela n’implique-t-il pas, comme en éthologie, que le chercheur qui est sur le terrain sache se faire oublier ?
Au nom de la découverte et de la connaissance, ne serait-il pas intéressant et bénéfique de développer ce type d’approche dans la recherche ?
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